Hathor ou a raison partie 1

Février, Museum de Sydney.

Assise devant mon terrier, je tente de trouver une place sûre dans mes bagages pour glisser la petite trousse de secours que je viens de trouver posée par terre devant chez moi. Bonne idée, ça, on ne sait jamais, surtout avec ce que je m’apprête à faire. Cette fois-ci, cependant, je ne serai pas seule, puisque Nigel, mon nouvel assistant, un Beeguh carcajou qui mesure plus d’une tête de plus que moi (c’est pratique) et qui ne demande pour tout salaire que d’être nourri et logé, m’accompagne.

Vous vous souvenez sans doute de cette histoire qui avait attiré mon attention il y a quelques temps, à propos de la momie de vache-naine que le « tout Londres » a déjà classée dans les malédictions de notre temps, alors que le Londres du XIX°s l’avait déjà fait pour des raisons similaires ? Bon, c’est vrai qu’une momie qui semble « porter malheur » à tous ceux qui s’en approchent ou s’en occupent, ça peut paraître troublant. Mais si les gens faisaient un peu de recherches avant de crier au loup (ou à la vache, en l’occurrence), ils sauraient que c’est un peu exagéré de qualifier cette pauvre bête d’objet maudit sans aller voir plus loin. Wallis Budge, donc, conservateur du British Museum de 1894 à 1924, était avant tout passionné par l’égyptologie. Passionné au point de mettre tout en œuvre pour acquérir de nouvelles pièces pour le musée. Absolument tout. Même piller le patrimoine national égyptien et corrompre les directeurs successifs du Département des Antiquités Egyptiennes. On raconte aussi qu’il gardait pour lui les meilleures pièces, et n’envoyait pas tout au British Museum. Un homme de sciences, donc, mais pas le plus honnête de tous. Chacun ses petits défauts. Parmi ses qualités, en revanche, on peut noter qu’il écrivait beaucoup. Il racontait ses voyages, les découvertes qu’il (enfin officiellement) avait faites, et tout ça. Pratique comme tout quand on veut retracer l’origine d’un objet, du coup ! Bref. C’est en feuilletant l’un de ses bouquins que j’ai eu ma première piste. La vachette… pardon, la Vache Sacrée, ou plutôt sa momie, avait été découverte dans les ruines du temple d’Hatchepsout (à vos souhaits, Madame le Pharaon) à Louxor. Logique, puisque la reine-pharaon vénérait Hathor et qu’une chapelle dédiée à cette déesse à forme de vache se trouvait dans son temple. Hathor, pour résumer, c’est plutôt une déesse sympa, hein. Pas trop vache. Enfin si vous voyez ce que je veux dire. Elle préside à l’amour, à la beauté, à plein de trucs féminins, et aussi à la musique. Mais parfois elle a aussi son côté obscur. C’est une déesse des morts, et parfois, quand elle s’énerve, elle punit les humains. Mais quand même, c’est surtout le côté sympa qui domine, d’habitude. C'est pourquoi ça m’étonnait qu’une momie de vache, dédiée à la déesse Hathor, porte malheur.

J’ai donc fouillé plus loin, dans des récits plus archaïques. J’ai dérouillé mon hiéroglyphique ancien, et j’ai traduit des textes sacrés antiques. Elle a une histoire, cette mini-vache ! Elle a même reçu un culte à elle toute seule, c’est dire à quel point elle a la classe ! De son vivant, elle n’a pas eu d’autre intérêt que d’être naine, et de mourir avant d’atteindre l’âge adulte, sans doute à cause de malformations internes. Mais une fois morte, quelque prêtresse bien intentionnée l’a momifiée dans les règles de l’art et a déposé une fine couche d’or sur ses jolies cornes. Et c’est là que ça a commencé à être marrant. La momie une fois exposée dans un petit temple rural a entrepris de faire des miracles. En bien ou en mal, d’ailleurs. Horemgeb, villageois aveugle, retrouva la vue en sa présence. Neferit, bourgeoise stérile, tomba enceinte après avoir visité la chapelle (l’histoire ne dit pas si elle avait elle aussi été visitée entre temps…). Mais Hatiri, voleur impénitent, qui voulait faucher des offrandes, fut retrouvé mort, comme foudroyé, aux pieds de la momie. Et Nouniser, notable rural corrompu, décéda malencontreusement d’une crise cardiaque en voulant faire transférer la momie chez lui. On peut dire que l’Hathor tue (et pourtant c’est une vache). Avec les années, cela vint aux oreilles de la femme-Pharaon Hatchepsout, qui décida de sortir la vachette de sa campagne pour lui offrir un plus bel écrin, dans une chapelle de son propre temple à Louxor. Vu que la pharaonne était une fan-girl d’Hathor, ce n’est pas très étonnant. La momie n’a pas protesté, et malgré le déménagement, a continué ses petits miracles et ses punitions divines fulgurantes. Il semblerait que la vie londonienne ne lui ait pas convenu, ou bien que les égyptologues lui aient manqué de considération… c’est ainsi qu’on en est arrivé à ce point, où tous ses propriétaires sont morts dans des circonstances bizarres.

Ce sont peut-être des coïncidences, mais dans le doute, il vaut mieux rapatrier la coquine dans un endroit où on la respectera un peu mieux. Je pense que nos shamans sauront quoi faire. Cela dit, je ne leur en ai pas encore parlé… ça sera la surprise… enfin si je ne meurs pas immolée ou asphyxiée pour avoir tenté d’approcher la bête ! Ah. Voilà Nigel qui arrive, pile à l’heure. Ça me plaît, la ponctualité. Je rajuste autour de mon cou l’œil d’Horus en argent massif que je porte (Horus et Hathor sont très potes, voire plus si affinités) et, dès que je lui aurai expliqué le fonctionnement du Miroir Persan, nous pourrons partir.