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Pierres papiers ciseau - Partie 4

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Nefermeritaset's avatar
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Juillet, camp Beeguh.

Nous sommes rentrés au camp. En arrivant, je me suis précipitée pour alerter Boursin de l’état inquiétant de Nigel, et comme prévu, nous avons eu droit à un sacré savon. Boursin a dit qu’il pensait que Nigel était plus intelligent que ça, que nous étions irresponsables, que je les emmenais dans des endroits trop dangereux… bref, chacun d’entre nous a eu droit à un sermon. Et à des soins, car malgré tout, Boursin ne laisse pas les blessés sans secours ! Maintenant, nous sommes tranquillement installés au terrier, blottis dans nos fauteuils confortables (sauf Willka qui préfère toujours le porte-manteaux), avec des infusions d’herbes glacées à boire, pour nous réhydrater et nous guérir plus vite. Nous aurons bien le temps de trier ce que nous avons rapporté plus tard. Pour l’instant nous sommes juste heureux d’être vivants et d’être rentrés à la maison. J’ai eu une discussion avec les garçons, ils m’ont prêté serment, jurant qu’ils ne s’attaqueraient plus à des monstres géants sans réfléchir et sans me consulter. Nigel, penaud, a dit qu’il voulait nous protéger, qu’il avait eu peur pour nous. Willka, lui, n’avait pas l’air d’avoir de remords. Il m’a expliqué qu’il n’avait fait qu’obéir à un réflexe, et qu’il allait tenter de se débarrasser de ces vieux restes de son éducation militaire.

Nous nous en sommes finalement sortis sans trop de dégâts, et ce n’est pas grâce à Dorobo, ni à ses sales bêtes de Lamassu ! Nous étions donc restés ficelés et bâillonnés dans une fissure de roche, en surplomb du site archéologique que nous voulions fouiller, tandis que Dorobo l’Obake et ses deux Lamassu de poche s’emparaient de notre butin. Mais Dorobo, tout voleur qu’il était, n’avait rien d’un archéologue. Il nous avait donc obligés à creuser jusqu’à ce que l’entrée soit dégagée, puis il nous avait relégué dans les « gradins » pour observer son triomphe. Même si je nous avais libérés, il n’était pas prudent d’agir tant qu’il avait avec lui les deux monstres qui avaient mis mon Nigel en lambeaux. Le pauvre Nigel, d’ailleurs, n’allait pas très bien : il aurait eu besoin de manger pour reprendre des forces, mais nous risquions de nous faire repérer, et nous n’avions pas envie que nos ennemis sachent que nous étions en fait libres de nos mouvements. Donc je ne pus lui donner que quelques biscuits de route que j’avais dans ma poche, car ramper à nouveau jusqu’à nos affaires était trop dangereux. Après tout, Dorobo était un Obake, un esprit maléfique japonais capable de changer de forme… il se pouvait bien qu’il soit capable aussi de garder un œil sur nous, même en entrant dans la tombe : je ne savais pas quelle était l’exacte étendue de ses pouvoirs, et pas question que l’Obake radine. Après tout, il avait bien été capable d’invoquer des Lamassu juste en lisant des tablettes magiques… on n’était sûr de rien avec lui. Mais j’étais à peu près certaine que, si nous ne faisions pas mine de bouger ou de le gêner, il serait plus intéressé par le trésor que par nous.

Nous le regardâmes donc pénétrer dans le tell par l’accès que nous avions dégagé à la sueur de notre front. Bien sûr, les Lamassu passaient devant, car Dorobo n’est pas le plus courageux des démons voleurs. Après quelques mètres, ils disparurent dans les entrailles du tell, et nous ne pûmes plus les suivre des yeux. Ils devaient être près de la porte du palais, car Sieger avait précisé dans son carnet qu’il avait volontairement pratiqué une ouverture à l’endroit le plus probable de l’emplacement de la porte principale, selon ses calculs et ses sources. Nous entendîmes d’ailleurs bientôt résonner dans la vallée un énorme grincement, qui pouvait fort bien ressembler à la pénible ouverture d’une très vieille et très lourde porte. Ça y était : ils étaient en train de s’emparer de notre découverte. Nous nous entre-regardâmes, très déçus. Tout ce chemin, ces recherches, ces nuits dans le désert à affronter des félins et des serpents, tout ça pour ça ? Je m’apprêtais à hurler ma rage contre Dorobo, quand un événement inattendu se produisit, me coupant le souffle et m’interrompant dans mes lamentations.

La terre se mit à trembler, et le tell devint tout à coup blanc comme neige dans un flash de lumière, tandis que nous entendions des hurlements de détresse et de douleur provenant de l’intérieur du palais. Un trou se forma au-dessus de l’emplacement supposé de la porte. Nous vîmes Dorobo en sortir précipitamment pour s’échapper du tell sans demander son reste, et glisser le long des parois à toute vitesse. L’Obake skia ainsi jusqu’en bas du monticule, et partit ensuite à tire d’ailes très loin, sans nous jeter le moindre regard. Il poussait des jurons que je n’ose pas retranscrire ici, même s’ils étaient en japonais. En tout cas, la voie était libre.

Prudemment, nous avons ôté nos bâillons et nous sommes dégagés de nos liens. J’ai donné de l’eau et de la nourriture à Nigel, qui était si faible au début que j’ai dû lui donner la becquée, comme dit Willka. Mais après avoir mangé tout ce qui restait de nos abricots secs, de nos amandes, et de nos biscuits de route, il allait mieux. Nous ne lui avons pas donné la viande ni le pain, car j’avais ma petite idée sur ce qui était arrivé aux Lamassu. D’ailleurs, mes assistants, une fois Nigel un peu rétabli, n’ont pas manqué de me questionner sur le sujet. « Vous vous souvenez de la malédiction de Ninlil, la Dame des Monts ? » demandai-je. Ils se rappelaient bien de cette partie de la légende. Nigel a même ajouté que c’était pour ça que nous avions apporté de quoi faire du feu et des choses à faire griller. J’ai acquiescé. « Dorobo n’a pas tenu compte de la mise en garde de la déesse. Il est entré sans frapper, sans faire de sacrifice, sans louer Ninlil. Elle n’a pas apprécié. Je pense que ses Lamassu-fifres sont désormais de petites flaques d’argile. Mais nous, nous avons prévu le coup, nous pouvons faire les sacrifices pour éloigner la colère de Ninlil ». Je souris, contente de moi. Après notre aventure normande, j’avais appris à croire au pouvoir des bénédictions – et des malédictions. Nous ne voulions pas terminer comme les Lamassu en sang et eau. C’est pourquoi, après avoir récupéré nos affaires et descendu avec prudence le flanc de la colline, nous avons décidé de nous installer devant l’entrée du tell, à ciel ouvert, pour procéder à un sacrifice de bon aloi. En plus, depuis le temps que plus personne ne vénérait les dieux Mésopotamiens, ils devaient avoir la dalle : dans les légendes, ils avaient laissé vivre le survivant du déluge parce qu’ils avaient trop faim pour refuser son offrande après tous ces jours sans humains pour leur faire des sacrifices.

Nigel, qui était encore un peu faible, a laissé Willka allumer le feu. Le petit se débrouille très bien dans ce domaine, d’ailleurs. Quand il a été prêt, j’ai sorti ma grille spéciale grillades au feu de bois, et j’ai déposé dessus des morceaux de viande séchée et des tranches de pain de route. J’ai aussi allumé un bâton d’encens, car les légendes disaient que ça allait bien avec. Aussitôt le barbecue mis en route, j’ai psalmodié : « Zami Ninlil ! Zami Ninlil ! », qui veut dire « Louanges à Ninlil », et j’ai laissé la fumée monter jusqu’au ciel. La porte du palais, qui avait dû se refermer quand la déesse s’était énervée, s’ouvrit en grinçant. C’était sans doute une invitation. Nous laissâmes la fumée de ces délicieuses grillades monter encore un peu, puis nous les mangeâmes, car pour les sumériens, la chair de l’offrande n’intéresse pas les dieux : ils se nourrissent seulement de l’odeur. Mais nous, en particulier Nigel, nous n’étions pas en état de refuser de la bonne vieille nourriture terrestre. Nous avons donc pique-niqué devant le tell de Guillaume (enfin, Wilhelm, pardon), sous le regard probablement attendri de Ninlil, qui avait pu caler le creux que lui avaient laissé des millénaires d’oubli. Je vis les couleurs revenir sur les joues de Nigel, à mesure que les protéines et la nourriture chaude et grillée lui emplissaient la panse. Il me sourit, l’air heureux. On aurait dit que rien ne s’était passé. Mais il me suffisait de regarder ses pansements encore imbibés de sang pour me rappeler qu’il était encore fragile, et que j’avais failli le perdre pour de bon. Un frisson me parcourut à cette idée. Je me forçai à lui rendre son sourire, puis repris un morceau de pain grillé pour faire passer la boule au ventre que j’avais.

Quand nous fûmes rassasiés, nous levâmes le camp, et partîmes en direction de la supposée porte que nous avions entendue, mais pas encore vue. Après quelques mètres dans le tell, nous dûmes allumer les lanternes, car nous n’y voyions plus grand chose. C’est donc à leur lueur que nous découvrîmes les portes béantes et monumentales du palais de Mesh-Ummia. Elles étaient en or massif, incrustées de gemmes finement ciselées, comme le disait la légende. Certaines de ces gemmes étaient tombées au sol. J’en ramassai quelques unes, aidée de Willka, tandis que Nigel passait la tête dans l’ouverture pour voir ce qui nous attendait derrière. Il nous affirma que le trou causé par la colère de Ninlil au sommet du tell avait percé un puits de lumière dans le plafond, et que ce n’était pas si sombre. Nous avions tout de même besoin des lampes, mais les ténèbres n’étaient pas complètes. Nous entrâmes donc dans un palais abandonné depuis belle lurette. Au sol, juste après la porte, il y avait une couche d’argile qui avait déjà séché. Les vestiges des Lamassu, cette flaque. Nous contournâmes cette zone, un peu réticents à l’idée de marcher dans des restes d’êtres vivants, même s’ils étaient très hostiles envers nous. Ce n’est qu’après être vraiment entrés, et en levant les yeux pour observer autour de nous, que nous vîmes la magnificence de l’intérieur du palais. Composée d’une seule immense pièce, cette salle devait être celle du trône. Les murs étaient recouverts de cuivre, dans lequel étaient enchâssées des pierres précieuses et semi-précieuses. Nous pûmes emplir nos sacs de celles qui étaient tombées de leur écrin métallique. Plus loin, sur une estrade, se trouvait le trône, en or massif, orné d’une grosse turquoise sur laquelle était gravé le nom du roi en sumérien. Devant le trône, au pied des marches, il y avait une table en bois précieux qui s’était fossilisée. Sur la table, on voyait un magnifique sceptre d’or décoré de joyaux, et plusieurs bijoux royaux. Tout cela termina dans nos sacs. Après tout, nous savions bien que le roi n’avait pas d’héritiers, donc la trouvaille nous appartenait.

Nous passâmes un petit moment à explorer le palais, qui était composé de plusieurs pièces, incluant de luxueuses chambres dont les lits étaient tombés en poussière, et une cuisine avec de la vaisselle en or, que je prélevai en bonne partie. Il y avait aussi beaucoup d’objets en argent, et tellement de gemmes un peu partout que nous ne savions pas où donner de la tête. Je pris quelques pierres plus petites pour offrir à mes amis au camp, en particulier les artisans comme Takoda, qui pouvaient apprécier ce genre de jolis matériaux. Les hématites sont particulièrement brillantes, sous le soleil. Je découvris quelques informations intéressantes sur cette dynastie oubliée en lisant les inscriptions cunéiformes qui ornaient certains murs. Il y avait aussi des tablettes dans une sorte de bibliothèque, et nous en emportâmes plusieurs pour que j’aie le loisir de les étudier. La famille du roi Mesh-Ummia était venue de Sumer jusqu’en Elam il y a longtemps, et avait conquis cette ville par la guerre. Mais le roi s’était mis en tête de construire ce palais, dans lequel on voyait de nombreuses dédicaces à Ninurta, le dieu qui avait vaincu le roi des pierres, l’Asakku. Il n’était pas difficile de comprendre qu’après cela, la colère de Ninlil avait effacé toute trace du roi et de son palais. Ses descendants avaient été rossés par les akkadiens presque aussitôt, et cette dynastie sumérienne avait sombré dans l’oubli total, car le site de la ville et du palais, considérés comme maudits (à juste titre) avaient été désertés en faveur d’un autre site proche, mais dépourvu de rancune divine.

Au sortir du tell, nous étions riches. Mais également très satisfaits, malgré notre fatigue, nos blessures et notre état crasseux. Nous avions le trésor, et Dorobo avait reçu une bonne leçon. Malheureusement, à partir de maintenant, il me faudrait être encore plus vigilante quand je me rendrais à la bibliothèque. Nous savions tous que c’était mon manque de prudence initial qui nous avait causé du tort. Mais c’était le manque d’instinct de survie des garçons qui avait causé leurs blessures. Nous nous sentions sans doute tous un peu coupables, aussi avons-nous pris notre temps avant de rentrer au camp, recevoir le savon et les soins de Boursin. Ce n’était que justice, étant donné que Bur-sin était un roi sumérien de Mésopotamie… Mais, ne pouvant plus tergiverser, devant l’état de Nigel qui perdait à nouveau ses forces, nous avons fini par utiliser le Miroir pour rentrer. Et nous avons réveillé notre shaman en catastrophe. Pas fini d’en entendre parler, je vous le dis.

Une aventure de Sydney Badger fav.me/dan1v9e  et Nigel Kahlua fav.me/daxy95e dont le design appartient à :iconmaiwenn:, et Willka fav.me/db7zvg1, dessin de :iconkineko: et colo de :iconmaiwenn: et le concept relève du groupe :iconokhong: 

Ne vous inquiétez pas, ce n'est pas parce que j'écris d'autres choses que j'ai oublié Sydney. ;) Conclusion de cette nouvelle aventure. 

© 2017 - 2024 Nefermeritaset
Comments12
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ValkAngie's avatar
Lamassu-fifres :heart: !

Bon, bon, cette conclusion est quand même plus paisible!! Même en se faisant sermonner. ;)
En espérant qu'il y ait assez de place pour tout ce butin dans le Museum!